
L’ÉCHO D’UN CHUCHOTEMENT
résidence & exposition
Pôle photographique Diaphane
Flixecourt
Un cube de carton-pâte surplombe la cour. Terne, délavé, il est laid. À l’image de l’ensemble du collège-lycée Mannessier, structure architecturale Pailleron construite à la va-vite dans les années 70. Ce préfabriqué dit « internat » accueille 60 adolescentes. D’une main on pourrait froisser ce bâtiment et le mettre à la poubelle, pourtant la structure en fer est bonne, elle sera déshabillée pour rhabiller Paul dans quelque temps. En attendant, les filles ne disent rien de la douche qui arrache le dos comme le crépi, elles ne voient plus les lignes de néons au-dessus de leur lit qui éclairent mal leur précieuse vie d’adolescente, ni les couvre-lits criards et les toiles cirées aux fenêtres. Ces fenêtres, placées très haut qui s’ouvrent de 20 cm pour éviter toute tentative d’envol. Elles ne parlent donc pas des paysages qu’elles ne voient pas. Les toilettes sont intimes comme celles des aires d’autoroute et dans les chambres, des coussins plastifiés pour l’hygiène et des cloisons en papier donnent le sentiment d’y dormir à 30. L’internat, ce sont des claquements de portes et une sirène de pompier qui sonne tous les matins à 7h, qui réveillerait un mort. La vie privée n’est pas visible, pas de photo, pas de dessin. La décoration au mur, c’est un carré de liège pour chacune au-dessus de la tête de lit.
Des éclats lumineux de téléphones scintillent dans la pénombre des couloirs.
Battle de danse sur le linoleum, « la musique ce soir pour éclater l’internat ». À la queue leu leu, hip hop, Indochine. C’est bon enfant. La fête parce qu’on a été sages, c’est notre récompense. Demain on part à Bruxelles. Socquettes, doudou en peluche, peignoir éponge, shorty, pyjama à pois, comme à la maison. Une complicité règne entre les surveillantes, l’infirmière de garde et les élèves. La soirée passe, de nouvelles filles viennent s’assoir sur les sièges de bureau… roses.
Elles regardent.
T-shirt Mickey.
Pour celles qui restent dans les chambres, séance nails-art, maquillage, Facebook et roulage minutieux de cigarettes.
Elles ne voient pas l’Algeco dans lequel elles sont enfermées, c’est leur principale maison. Chez soi, dans l’intimité d’une soirée, on se prend dans les bras, on se regarde, on s’écoute, on se réconforte, on se tresse les cheveux les yeux plongés dans les téléphones. Tendresse et attentions délicates. Silence puis éclat de rire. Chuchotements et paroles entremêlés de sanglots. Il y a toujours un visage ou une main qui surgit derrière l’une d’entre elles, comme si les corps étaient doubles. « Grow up » c’est le message écrit à la craie sur le dos d’une veste en jean. Il a dû s’effacer depuis.
La pause cigarettes est attendue dans l’euphorie.
L’internat, ce sont des rires qui remplissent les couloirs et résonnent jusqu’aux confins de la vallée, et buttent sur les murs des usines Saint-Frère. Je vois ces jeunes adolescentes comme de petits oiseaux fragiles, des colibris, les plus petits oiseaux du monde. Mais les colibris ont un vol stationnaire. Parce qu’ici à Flixecourt, il n’y a pas de filière générale : Bac Pro Commerce, Agent polyvalent de restauration et Soins et Services à la personne. Le disque est rayé, il tourne en boucle, vestige de l’héritage paternaliste des usines Saint-Frères qui ont fermé il y a 30 ans. Il est difficile pour ces petits oiseaux de s’évader plus haut que la colline quand le vent souffle au ralenti.
Stéphanie Lacombe

Vue de l'internat depuis une salle de classe. C'est une construction de type "Pailleron" à base de structures métalliques, réalisée à la va vite dans les années 70 pour faire face à l'accroissement soudain et massif du nombre d'élèves.

Il est 17H30, Émeline attend le coup de fil de son petit ami. Le téléphone est interdit de 18h à 21H.

Les douches sont interdites le matin. Les filles viennent en pyjama pour la fête organisée dans la salle commune.

Maéva, Marine et Cammille regardent des vidéos sur internet dans la chambre de Stécy. Une fois par semaine elles ont l'autorisation de regarder la télévision.

C'est mercredi après-midi, il n'y a rien à faire. Mégann et Sloane discute par la fenêtre avec les élèves restés en colle.

Stacy et Justine. Les filles retrouvent leur famille seulement les week-end. Les visites ne sont pas acceptées.